Ophélia Nightingale - Ice lady

La France, Ophélia n'en a que de lointains souvenirs, quelques brides par-ci par-là, de ses premières années d'enfance. Née à la fin de l'année 1906, elle a vécu à peine dix ans en France, la guerre a forcé sa famille à partir pour l'Angleterre. Son père, Gustave, était diplomate et a réussi à se faire envoyer à l'ambassade de Grande-Bretagne à Londres un peu après le début de la guerre. Gustave était un homme agréable, heureux d'être marié et d'avoir deux beaux enfants, Ophélia et son frère ainé Armand. Il possédait un dæmon grenouille, petite, bleutée et tachetée de noir, elle avait l'air inoffensive mais sa peau distillait un horrible poison. La mère d'Ophélia, Yolande, s'occupait des enfants, avec l'aide de la nounou, et était une femme douce, joyeuse et pétillante. Son petit dæmon perruche chantait toute la journée dans leur maison. A Londres d'ailleurs, leur maison se trouvait à Greenwich, l'ambassade possédait plusieurs bâtiments et logements à travers la ville et les prêtait volontiers aux plus importants de ses membres. Ce cadre privilégié a permis à Ophélia d'aller à Saint Elizabeth College, tout comme son frère Armand. Que ce soit à Londres ou à Paris, la vie des Rousseau était agréable, les enfants n'ont aucun problème à l'école, ils suivent et aiment ce qu'ils font, la mère est comblée et le père malgré son travail prenant arrive à trouver du temps pour ses enfants. Quand la première guerre se termine, les choses semblent aller pour le mieux pour la petite famille. Les années passent tranquillement et les deux enfants grandissent dans la bonne humeur, sans s'occuper des tensions mondiales qui inquiètent leur père ou de l'étiquette qui préoccupe tant leur mère. Une chose en entrainant une autre, ils deviennent bientôt des adolescents.


C'était un mercredi d'été, on n'avait pas école bien sûr et on restait à la maison pour jouer dans le jardin ou aller dans les parcs de Greenwich. Armand venait d'avoir quinze ans, son dæmon était tout le temps là maintenant. Il l'appelait Nux et c'était un caïman et un mâle, une bête assez grosse et moche, je me moquais souvent de lui. Mais comme il rétorquait que moi, je n'avais même pas encore de dæmon, je me taisais vite. On n'avait pas beaucoup de différence d'âge, seulement deux ans et mon dæmon n'apparaissait toujours pas. On se parlait, bien entendu, comme tous les enfants, mais il ne voulait toujours pas se montrer...Parfois, les autres jeunes filles de la classe se moquaient aussi un peu de moi, raillant que je n'en aurais jamais. Ce n'était pas possible et je le savais bien. J'en aurais forcément un. Enfin, ce mercredi-là, en tout cas, il faisait une chaleur intense et avec Armand, on était au bord de l'eau, mère était occupée à préparer une réception et père était au travail, comme toujours. Il y avait d'autres enfants à Hyde Park, ce jour-là, qui jouaient dans la Serpentine River ou sous les arbres. Nux était dans l'eau, tranquillement, Armand pas loin, assis dans l'herbe. Il avait un air sérieux et semblait réfléchir longuement.
- Qu'est-ce que t'as ? je lui demandai alors.
Il n'a pas répondu tout de suite et a attendu que je vienne m'assoir à côté de lui. Il avait un air aussi sérieux que père, il lui ressemblait beaucoup, fallait dire. Il me regarda, ses yeux gris étaient presque tristes. Armand voulait devenir metteur en scène de théâtre, il avait toujours voulu ça mais père préférait qu'il étudie pour devenir ambassadeur à son tour, le théâtre, c'était bon pour les idiots d'après lui. Et ça l'avait toujours rendu un peu triste, mon frère, mais là c'était un autre genre de tristesse, quelque chose dans son regard était différent.
- Je vais aller à l'école militaire et y'a rien à y faire.
J'avais pas compris tout de suite ce que ça voulait dire. Mais père savait des choses que nous, les enfants, on ignorait. Il voulait que son fils soit prêt si un jour, ça se remettait à péter dans tous les sens, comme ça avait été le cas quand j'étais petite. On avait quitté la France à cause de la guerre et d'après mon père, il pourrait y en avoir une autre dans pas longtemps. Pour moi, c'était loin. Mais du coup, Armand allait partir pour l'une des meilleures écoles d'officier du pays. C'était comme ça et comme il avait dit, y'avait rien à y faire. On en parla au souper, avec père et mère, je leur dis que je ne voulais pas qu'Armand parte, que ce n'était pas juste et qu'il devait rester avec moi. Mais père se fâcha et m'envoya dans ma chambre sans finir de manger. C'était un sujet dont je ne parlerais plus après ce jour...
- Tu vas voir, ça va aller. Il va revenir vite, Armand te laisserait jamais.
Je la connaissais, cette voix. Mais je ne l'avais jamais entendue comme ça, aussi proche de moi, d'habitude, elle était dans ma tête. Je relevai la tête de mon oreiller et je vis un serpent, grisâtre, presque noir, laissant sa langue noire sortir à intervalle régulier de sa gueule, noire elle aussi. Il était pas très gros, roulé sur lui-même, pas loin de moi. Il vint se lover contre moi, il était tout froid, les écailles avaient une texture étrange et cette sensation d'être...plus adulte. Je m'endormis peut-être un peu plus sereine, mais toujours aussi triste de savoir qu'Armand s'en irait à la fin des vacances, il n'était même pas encore adulte...


Il rentrait de l'école militaire. Cela faisait sept ans qu'il y était et avait reçu un diplôme d'officier, il était apte à aller à la guerre et à y commander des hommes. Il avait vingt-deux ans et sa mère avait déjà trouvé une promise à lui présenter quand il serait à la maison. Mais pour l'instant, il était dans le train, à regarder le paysage défiler. Il ne savait pas comment ce serait quand il se trouverait de nouveau chez ses parents. Il était perplexe mais espérait pouvoir posséder son propre appartement, il aimait sa famille mais il avait appris à se débrouiller seul désormais. Il se demandait aussi comment était sa petite sœur, certes il avait reçu des lettres mais elles ne disaient pas tout bien entendu. Il savait comment était son daemon, et en était assez fier d'ailleurs, ce serpent allait bien avec elle. Le trajet en train ne fut pas très long, il n'était pas parti si loin que cela de Londres, heureusement. Ses parents l'attendaient à la gare, avec une grande jeune femme : sa sœur Ophélia. Elle avait, elle aussi, pris sept ans, normal en même temps, et était devenue belle, fière et adulte. Crowley était enroulé autour de son cou, ses yeux reptiliens scrutant les gens autour de lui, sa langue sortant régulièrement pour goûter l'air et sentir les odeurs de la gare. Après les marques d'affection sincères et familiales, les Rousseau rentrèrent chez eux. Armand constata que les choses n'avaient pas beaucoup changés, la maison était toujours la même, elle avait la même odeur, la même lumière entrait par les grandes fenêtres, même les bruits dans la rue n'avaient pas changé. C'était toujours la même maison qu'à son départ, il aurait très pu l'avoir quittée hier...A peine s'était-il installé que sa mère vint le voir pour lui dire qu'elle avait organisé un dîner avec ses futurs beaux-parents et sa promise, Victoria. Cela l'embêtait, il avait espéré être tranquille quelques jours avant d'avoir à participer aux mondanités que sa mère adorait tant. Mais il ferait ce qu'elle lui demandait, en bon fils qu'il était. Les quelques heures qui le séparaient du repas furent bien remplies, consacrées à l'essayage d'un beau costume pour plaire à la belle. Bien que l'alliance fut déjà conclue entre les jeunes gens, les parents souhaitaient malgré tout les présenter avant le jour des noces. Qui était presque déjà prévu d'ailleurs, mais on n'accablerait pas Armand avec ça aujourd'hui. Pour l'heure, il était occupé à écouter sa mère lui parler de Victoria, qu'elle avait rencontrée plusieurs fois. Il n'eut même pas le loisir de parler un peu à sa sœur, ce qu'il aurait pourtant tant voulu...Mais déjà, l'heure du repas était là, il se retrouva en face de Victoria, avec un air un peu gêné. Elle était une jolie jeune femme, un peu plus jeune qu'Ophélia, blonde aux yeux noirs, un sourire charmant et probablement avec l'intelligence d'un moineau. Mais on ne lui demandait pas d'être intelligente, juste de sourire et de faire des enfants. Son daemon était un petit chien, du genre craintif, il restait timidement à regarder Nux sans rien oser dire ou faire. Elle non plus n'était pas à l'aise. Mais le dîner passa malgré tout, Victoria n'était pas déplaisante, ils seraient relativement heureux ensemble et s'entendraient bien pour le reste de leurs vies. Tout le monde alla se coucher, la belle famille rentra chez elle et Armand monta dans sa chambre. Allongé dans son lit, il ne dormait pas, il attendait que sa sœur vienne. Ce qu'elle fit. Le petit grattement de son enfance retentit enfin et Ophélia pénétra dans la chambre pour aller s'assoir sur le lit. Le frère et la sœur discutèrent longuement de ce qu'ils avaient vécu et de ce qu'Ophélia faisait maintenant. On ne lui avait trouvé personne encore et elle travaillait comme assistante d'un attaché ministériel à la culture. Elle s'y débrouillait très bien, ça lui plaisait même beaucoup. Armand nota même chez elle une certaine ambition, comme si être assistante ne lui suffisait pas. Il apprit également qu'elle avait pris la nationalité anglaise, même si elle était née en France, elle vivait en Angleterre depuis longtemps et son pays natal ne l'intéressait plus trop. Lui-non plus d'ailleurs. Ils discutèrent toute la nuit, ou presque, de tout et de rien, de ce qui allait se passer maintenant. Aucun des deux ne le savait, Ophélia devrait sûrement trouver bientôt un bon parti, Armand irait habiter dans une maison lui appartenant avec sa future épouse...Les choses lui semblaient aller beaucoup trop vite, il aurait voulu être encore un enfant, au bord de la Serpentine River...


Le mariage d'Armand avait été très réussi, les gens étaient venus nombreux et famille et belle-famille s'entendaient bien. Père était heureux de voir son fils avec une charmante épouse, de mettre son fils dehors également...Si j'avais bien appris une chose dernièrement, c'était l'ennui de mes parents d'avoir encore à leur charge mon frère. Et plus encore moi. Je l'avais entendu dire que je finirais vieille fille si il ne me trouvait pas mari à prendre. J'avais failli hurler de range quand il avait dit ça, quand mère et lui discutaient dans le salon à côté duquel je passais. Mes parents ne voyaient en moi qu'une idiote, une femme sotte comme ma mère et son daemon perruche qui jacasse sans discontinuer. Ils ne comprenaient pas ce que je faisais, mon envie de ne pas être qu'une vulgaire secrétaire mais quelqu'un d'importance. Je ne serais pas une femme au foyer, veillant sur le nid de mon mari, à élever des marmots tout en organisant des diners avec d'autres familles de notre rang. C'était totalement hors-de-question. Mais si je devais passer par le mariage pour y arriver, alors je le ferais...Pas avec un homme du choix de mon père ou d'autres personnes moins informées qu'il ne l'était, je ferais ce que je veux. Dans les jours suivirent, il y eut du changement dans le personnel du bureau où je travaillais. Un nouvel attaché à la culture, un homme mielleux et désagréable, petit, avec une horrible petite belette pour daemon. Il ne parla pas, une femme n'avait rien à faire dans le monde du travail, même en tant que secrétaire ou assistante, ces hommes des fois, ils mériteraient des baffes pour leur remettre les idées en place. Pendant quelques mois, il passa son temps à restructurer le service culture du gouvernement : les choses changeaient dans le pays, c'était étrange. Je restait néanmoins assistante auprès d'un sous-fifre. Le travail était nettement moins intéressant, on ne brassait pas le même genre d'informations. Mais le jeune homme pour qui je travaillais était bien plus charmant, élégant, presque bel homme, de mon âge environ. Edgar Nigthingale n'était pas d'une grande famille, pas même un cousin éloigné, il n'avait jamais été le meilleur de sa classe et n'était pas spécialement content de sa situation. Mais il avait du bien, une demeure à lui, ses parents étant décédés, il avait eu un héritage suffisant pour bien commencer dans la vie. Il ne fut pas très compliqué de le séduire : il cherchait une femme pour lui tenir compagnie et n'était pas très doué pour s'attirer des faveurs. Mais je devais reconnaître qu'il était plaisant, que j'éprouvais assez vite de l'affection pour lui, proche de l'amour, peut-être en moins fort. Nous fûmes mariés dans l'année et avant mes vingt-deux ans, j'étais engrossée. Je n'avais pas prémédité cela, c'était même une crainte, mais mon fils, Maximilian, serait l'une de mes plus grandes fiertés. Dix années passèrent sans un accroc, mon fils était remarquable, mon époux évoluait dans le ministère de la culture, avec moi qui restais son assistante. Mon frère était un brillant officier mais Victoria ne lui avait jamais donné d'enfant, sans que personne ne sache pourquoi. On sentait les tensions internationales se renforcer, encore un peu plus qu'après la Première Guerre Mondiale, l'Angleterre semblait se refermer un peu sur elle-même. Les gens ne s'en rendaient pas tous compte, mais père en parlait souvent à nos diners mensuels avec Armand. Jusqu'à ce que la guerre éclate à nouveau.


Le soleil se lève sur un monde nouveau. L'Angleterre est en guerre. Ce n'est pas là première fois, mais là c'est différent. La guerre en elle-même est différente, les moyens techniques sont différents, les raisons sont différentes. Cette guerre sera beaucoup plus sombre, horrible, tout le monde le sent. Et c'est pour ça qu'ils sont tous partis, les hommes du pays, pour combattre en France et dans le reste de l'Europe. Armand est parti, Edgar est parti, tous les autres hommes autour d'Ophélia sont partis. Sauf son père, il est trop vieux et on n'envoie pas un diplomate au combat, ils ne servent pas à ça. Elle a été triste quand ils sont partis elle se sentait perdue. Moi aussi. Mais l'un de nous devait être plus fort, devait soutenir l'autre. C'est à moi de faire cela, l'aider à aller mieux, faire en sorte qu'on se relève pour repartir. Il ne reste que des femmes au pays, elles ne sont pas allées sur le front mais doivent se battre quand même. Ophélia se lève lentement, avec d'autres femmes, elles vivent dans un dortoir commun pas loin de l'usine où elles travaillent. Elle a quitté Londres, quelques semaines plus tôt, après les premiers bombardements, pour travailler, fabriquer des armes avec les autres pour les envoyer sur le front. Peu importe le rang ou la classe sociale, tout le monde est logé à la même enseigne, et ceux qui ne sont pas là pour aider sont des peureux, voir des traîtres. Elle travaille sur une ligne de production toute la journée, je reste enroulé autour de son cou, à regarder les autres. C'est une routine quotidienne, se lève, se laver et s'habiller, aller manger un morceau, pas grand chose, avant d'aller à l'usine. La sonnerie de midi se fait entendre, tout le monde sort pour aller à la cantine. Ce n'est pas très bon, mais il faut manger quelque chose. Ophélia est silencieuse, elle est inquiète au milieu des autres, pour Armand et Edgar. Les autres aussi, sûrement, ont quelqu'un là-bas, sur le front. Elle a peur de ne pas revoir son frère, plus que son mari, elle y tient bien plus. Edgar, oui elle l'aime, mais moins qu'avant, il a un peu changé et elle sait qu'il a des relations avec d'autres femmes, notamment leur cuisinière, une mignonne jeune écossaise. Elle a eu une fille d'ailleurs, une horrible gamine de quelques années et Ophélia sait parfaitement que c'est celle d'Edgar...Mais peu importe, elle voudrait quand même qu'il revienne. La journée reprend, jusqu'au soir, où elles rentrent aux dortoirs. Elles peuvent sortir, aller dans la petite ville où se trouvent l'usine, il y a quelques hommes, trop jeunes ou trop vieux, qui n'ont pas pu aller à la guerre. Il y a quelques soldats aussi, comme pour veiller sur l'usine. Ophélia ne sort pas, elle préfère rester à lire, elle repense à son travail d'avant, à sa famille. Son fils Maximilian est loin, dans l'arrière-pays, avec sa grand-mère heureusement, il reviendra à la capitale quand ce sera fini. Si ça finit un jour...La nuit tombe, avec elle le couvre-feu, et c'est l'heure pour tout le monde de dormir. Le lendemain sera exactement pareil, les journées ne changent pas, un quotidien épuisant, elle a déjà perdu du poids, j'espère que ça ne durera pas...


La famille est à table. C'est étrange d'être tous réunis là. La guerre est finie depuis quelques mois. Mon père a fait jouer l'ensemble de ses relations pour qu'Armand et Edgar rentrent au pays, avant la fin de la guerre. Beaucoup de soldats n'ont pas pu revenir. Les frontières sont fermées. A table, c'est le silence, ma mère a l'air contrite, mon père semble furieux, mon mari ne sait pas où se mettre et mon frère est fier comme un coq. Chacun s'observe sans rien dire. Armand et Edgar se sont étrangement comportés depuis leur retour, depuis ces derniers jours : l'un a annoncé qu'il quittait sa femme pour vivre avec un homme, l'autre veut élever sa bâtarde au grand jour. Je ne saurais dire lequel a le plus choqué la famille, si mon frère quittant son épouse est plus grave que mon mari donnant son nom à la fille de la cuisinière...Le repas est tendu en tout cas, je sais que mon père va bientôt exploser, il hurlera dans peu de temps. Et moi aussi. Qu'Edgar couche avec d'autres femmes, soit je l'accepte, qu'il ait une fille avec une domestique, cela passe encore. Mais qu'il leur offre une chambre dans ma maison, de l'argent et un nom pour vivre comme nous, c'en est trop. Sa bâtarde porte son nom, elle va dans une bonne école privée qu'il paye et il semble l'aimer plus que Maximilian. C'est intolérable et je l'ai longuement fustigé pour ça. Si encore il avait gardé ça pour lui...Mais non, il en parlé à table disant qu'il voulait que père rencontre sa "petite-fille". Ajouté à l'histoire de mon frère, le mélange est explosif et père les regarde tour à tour, ne sachant probablement se lequel hurler en premier. Il explose soudain, leur criant à tous deux de quitter la table au plus vite, il ne voulait plus voir ni l'un ni l'autre. Ils fuient vite, quittant même la maison, mais père continue de crier quand même, se plaignant du déshonneur de sa famille, de son nom qui allait disparaître...Le reste du repas est rapide, ma mère s'excuse et me dit d'être forte, qu'Edgar va reprendre ses esprits rapidement. Elle se serait effondrée si père lui avait fait ça, je ne suis pas ainsi. Plus jamais je ne compterai sur un homme, ils peuvent toujours courir. D'ailleurs, le pays a tourné sans eux et je ne suis plus assistante maintenant. J'ai un bureau à moi, un jour, je serai celle qui va diriger ce service. Et sa gosse, horrible fillette vulgaire, va quitter ma maison...


Au département de la culture, il y avait eu des changements après la guerre, beaucoup de soldats n'étaient pas revenus et les hommes manquaient un peu. Ophélia dirigeait tout le service, elle gérait tout le département et le faisait avec efficacité, fermeté et sévérité, une main de fer dans un gant de velours comme qui dirait. Elle avait de l'importance dans la Haute-Autorité et était relativement appréciée dans la société, quoi qu'elle fût parfois moquée à cause de son importun de mari. Ce jour-là, elle était dans son bureau, relisant certains articles qui étaient passés par son service, elle vérifiait que la censure avait été bien appliqué et que les articles ne posaient plus de problème. Des Sentinelles pénétrèrent dans le bureau, elle en voyait d'autres serpenter entre les bureaux. Ils semblaient chercher quelqu'un.
- Madame, excusez l'interruption mais nous cherchons votre mari, Edgar Nightingale. Veuillez nous montrer où il travaille je vous prie.
Le ton n'était pas spécialement sec ou impérieux, juste sévère, comme si ils étaient un peu pressés ou qu'ils tenaient vraiment à le trouver au plus vite. Ophélia se leva d'un bond, elle semblait en colère et personne n'aurait su dire si c'était à cause de l'irruption de Sentinelles ou à cause de son mari. On ne lui avait pas dit ce qu'Edgar avait fait, elle était surtout en train de se demander ce qu'il avait encore bien pu faire pour que la milice s'en prenne à lui. Crowley inspectait les hommes et leurs daemons canidés, ils était cinq en tout et suivaient d'un pas raide. Le bureau d'Edgar était vide. Où était-il encore passé...? Il avait du prendre son après-midi pour aller voir sa fille, il ne travaillait pas bien en ce moment, partant sans prévenir, rentrant tard à la maison quand même...Ophélia devait être calme avec lui. On escorta la directrice jusque chez elle, pour espérer y trouver Edgar. Mais la surprise fut totale : la maison était vide, cuisinière, mari et belle-fille s'étaient envolé, avec quelques affaires et des valises, même certains bijoux avaient disparu. Ophélia était furieuse, particulièrement quand le chef de la sécurité vint discuter avec elle, l'accusant de couvrir son mari. Elle explosa, criant à moitié qu'elle n'avait pas la moindre idée de où était son incompétent d'époux et qu'elle espérait qu'on le trouverait vite. Et enfin, on l'informa de ce qu'Edgar avait fait : sa fille était une Excors et lui et sa maîtresse la cachaient depuis des semaines. Ophélia était outrée, elle aurait pu leur briser le cou à tous trois si elle les avait eu sous la main. On la laissa en paix, lui disant malgré tout de ne pas quitter sa maison avant qu'on lui en donne la permission. On vint la voir dans la soirée, lui informant que les trois fuyards avaient été retrouvés et étaient, pour l'heure, en prison. Elle s'assit dans le canapé, ses sentiments étaient ambiguës. Elle voulait voir son mari et ces deux femmes punis, lourdement, mais elle voudrait éviter toute retombée sur elle-même et sur son nom.
- Je les ai dénoncés.
C'était Maximilian. Il était venu s'assoir à côté d'elle, elle n'avait pas fait attention à lui. Elle le regarda, plongeant son regard dans les grands yeux bleus de son fils. Il avait son petit air, celui qu'il avait depuis qu'il était enfant, quand il avait fait une bêtise mais qu'il aimait ça, qu'il savait que c'était mal mais qu'il ne pouvait s'empêcher d'en être satisfait. Son fils était comme ça, à ne pas forcément distinguer le bien du mal, à éprouver de la fierté à faire des choses mal...Et là, c'était le cas. La plupart des gens aurait vu ça comme une trahison : un fils qui balançait son père aux autorités. Mais Max détestait sa demi-sœur, son père et la cuisinière, il ressemblait beaucoup à sa mère. Ophélia lui sourit et lui passa la main dans les cheveux.
- Tu as bien fait, chéri. Je suis fière de toi.
Les jours suivant, Ophélia dut répondre à de nombreuses questions, Maximilian aussi. Mais les autorités décidèrent que la mère et le fils n'avaient rien à voir dans cette histoire, qu'ils n'avaient en aucun cas essayé de protéger l'Excors. Edgar, en revanche, fut mis en prison, avec sa maîtresse et sa fille alla dans un de ces foyers pour Excors. Il aurait du y avoir un procès, mais Edgar ne fit pas de vieux os en prison : un tragique accident se produisit et il fut tué lors d'une bagarre à la cantine...D'aucun prétendaient que c'était Ophélia qui s'était arrangé pour cela. D'autres disaient qu'il s'agissait de Maximilian. En tout cas, la mère et le fils vivent tranquillement désormais, elle continue son travail à la censure et son fils est une Sentinelle brillante...