Elliott - Se servir d'une seule âme pour être deux

Je m'appelle Rhéa et comme il n'aime pas vraiment parler de lui, je vais m'efforcer de vous présenter ma moitié. Elliott est né un soir d'hiver au sein d'une famille dont une descendante maternelle, Indienne, s'était établie en Angleterre en 1890, dans le cadre de la colonisation britannique. Il était le premier enfant d'un couple uni et il serait rejoint par une sœur quelques années après sa venue au monde.

Enfant, il était plutôt facile à vivre, rieur et il avait le contact facile. Il était encore très jeune lorsque j'avais commencé à me manifester à l'intérieur de sa tête et je m'étais matérialisée pour la première fois à ses côtés quelques jours seulement après son onzième anniversaire.

A l'époque, j'avais l'apparence d'un serval, une sorte de grand chat sauvage au pelage moucheté comme un guépard, muni de larges oreilles. J'adorai me blottir contre son flanc au moment où nous nous couchions pour dormir, ronronner à son oreille, me percher sur ses épaules pour lui réchauffer le cou et nous étions parfaitement complémentaires.

Notre vie avait été paisible jusqu'à ce que la seconde guerre mondiale éclate et, quelques années plus tard, que Londres, la ville dans laquelle nous habitions, soit bombardée par les forces ennemies. Elliott, qui n'avait qu'une quinzaine d'années à l'époque, avait été très impressionné par la terreur engendrée par cette attaque mais il avait su prendre sur lui pour mettre sa famille en sécurité et les cauchemars qui avaient fait suite à cet événement tragique s'étaient assez rapidement estompés.

Malheureusement, un incident plus terrible encore à son sens allait venir impacter sa vie de manière importante : à la fin de l'année 1944, à l'époque de l'apparition des premiers Excors, j'avais temporairement disparu... Sa détresse avait été immense le matin où il avait été réveillé par une horrible sensation de vide . Personne dans son entourage n'avait jamais vu son âme sœur s'évanouir de la sorte, même en cas de conflit, si bien qu'il s'était senti désespérément seul face à ce problème.

Pendant les jours et les nuits qui avaient suivis, il n'avait eu de cesse de me rechercher, oubliant de se nourrir et de se reposer. Je m'efforçais d'entrer en contact avec lui mais ma conscience était si floue que je n'y parvenais pas. Un matin, peu avant l'aube, alors qu'il errait dans les rues, à demi conscient, il avait été renversé par une diligence qui roulait à vive allure et son propriétaire, craignant des poursuites, l'avait laissé pour mort sur le bord de la chaussée. Sa douleur, qui avait été la plus vive que nous avions jamais ressenti, m'avait permit de me reconnecter avec le monde mais je ne m'étais pas immédiatement rematérialisée.

Il était en piteux état lorsqu'on l'avait enfin conduit à l'hopital. Le médecin qui l'avait examiné avait en premier lieu douté de sa capacité à le réanimer mais il y était finalement parvenu. Sa jambe gauche, en revanche, n'avait pas pu être sauvée... Infirme, privé de ma présence réconfortante, Elliott était au plus mal lorsqu'il s'était réveillé, d'autant qu'il avait été mis en quarantaine. Un humain sans daemon, ce n'était pas normal...

Sa souffrance me heurtait de plein fouet. Plus que jamais, il avait besoin de moi, ce qui m'avait poussé à lutter de toutes mes forces contre le néant. Une nuit, victorieuse, je lui étais enfin revenue. Il m'avait immédiatement reconnue lorsque j'avais enfoui mon museau dans son cou, même si je ne ressemblais pas à la Rhéa qu'il avait connu enfant. L'accident dont il avait été la victime allait avoir des conséquences importantes sur son quotidien aussi, je m'étais naturellement adaptée pour l'accompagner au mieux.

Le serval avait laissé place à une majestueuse jument grise et Elliott avait trouvé la force de se relever. Se déplacer avec des béquilles était fatiguant et laborieux mais il ne voulait pas entendre parler de fauteuil roulant. Avec le temps, le haut de son corps s'était considérablement musclé et nous avions élaboré des stratégies ensemble pour que ses trajets soient aussi confortables et aisés que possible.

Un autre se serait peut-être contenté de se laisser porter en permanence mais, même s'il arrivait qu'il ait des coups de blues, mon humain avait le cœur d'un étalon. Il avait apprit à faire fi du regard des autres et, sa jeunesse aidant, apprivoisé son handicap.

Aujourd'hui, nous avons plus ou moins repris le cours normal de notre vie. Nous avons même monté notre propre petite activité de transport. Cependant, il semble qu'il y ait de plus en plus d'Excors et cela nous inquiète très fortement. Plutôt mourir que nous perdre à nouveau. Mais à quoi ce phénomène est-il du ? Est-il systématiquement réversible ou sommes nous des exceptions ?

Elliott est parfaitement incapable de considérer les malheureux qui ont perdu leurs daemons comme des monstres car il a été ce monstre à une période de sa vie et il ne sait que trop bien ce que cela implique. Je sais qu'il ne pourra s'empêcher de prêter main forte à l'un d'eux si l'occasion venait à se présenter et malgré l'interdiction du conseil, je ne m'y opposerai pas. Ensemble, quoi qu'il arrive...